La maman de Jessie est décédée mardi à l'âge de 91 ans. Elle était rentrée à Maré auprès de ses enfants pour y vivre ses derniers instants. Elle avait le syndrome du glissement et se laissait doucement aller sous le regard et l'attention bienveillante de sa famille. Ici, tout le monde l'appelait Mimi.
J'ai assisté, par amitié pour Jessie et Gadre, mes adorables propriétaires, à ses obsèques ce matin. Nous nous sommes tous réunis chez son fils Marcel à 9 heures. Quelques minutes après mon arrivée, des pleurs se sont faits entendre à l'intérieur. On refermait le cercueil et disait un dernier au revoir. Jessie nous a alors invité à entrer pour un office des plus simples par le pasteur de Tadine. Assis sur des nattes au sol, nous entourions le cercueil recouvert d'un simple manou puis d'un linceul blanc. Avant de sortir pour nous rendre vers le cimetière, à quelques dizaines de mètres seulement de la maison, des chants religieux ont conclu ce moment fort émouvant.
Du cimetière surplombant la tribu, une vue imprenable sur l'océan. Un endroit magnifique pour reposer en paix dira Jessie. La cérémonie se poursuit. Les garçons de la famille mettent en terre et recouvrent le cercueil après que chacun ait pu venir y déposer une fleur, un peu de terre,... Les pierres et les nombreuses compositions florales "maison" viennent terminer la dernière demeure de la défunte. En toute simplicité, les gestes se sont succédés, mécaniques, malgré la tristesse.
Pas de cercueil aux dorures hors de prix, pas de pierre tombale en marbre, pas de pompes funèbres impersonnelles. La défunte n'a été accompagnée que de sa famille et proches vers la terre dont elle est issue. Un passage dans un autre état et dans le monde des ancêtres. Une simplicité qui a fait la beauté de ce moment très émouvant et digne. Un de ceux qui font mon attachement à cette île. Ne sont-ils pas dans le vrai quand ils ne confient leurs défunts à personne d'autres ? Quand aucun élément extérieur et commercial ne vient souiller la pureté de ce moment ?
Cet événement important dans la vie de Jessie et Gadre m'a donné envie de partager le portrait que j'avais fait d'eux à l'occasion d'un quatre pages sur Maré dans les Nouvelles en septembre dernier. Je leur avais demandé de me parler de leur vision de l'île. Je vous le livre tel quel.
Jessie et Gadre Yeiwene
viennent de fêter leurs 40 ans de mariage. Tous deux originaires de Maré, ils y
ont été enseignants du premier degré et y vivent une retraite bien méritée
depuis sept ans. A la tête d’une famille de quatre enfants et six
petits-enfants qui vivent sur la Grande Terre, le couple reste très attaché à son
île natale.
C’est l’authenticité de Maré, une île coutumière où les
traditions sont encore très présentes, qui les ancre à elle. « Maré c’est construit autour de sa
coutume encore très forte. Nous sommes d’une génération qui a connu le Maré
d’antan et d’aujourd’hui. De la lampe à pétrole à l’électricité, avec l’arrivée
des transports entre les îles et la grande terre », introduit Gadre. « La mentalité des gens a beaucoup
changé aussi. On était bien plus solidaires avant », ajoute son épouse.
Elle se remémore une époque où si la monnaie existait, elle n’avait pas
d’importance. Une époque où l’on vivait de la chasse et de la pêche, où le miel
servait de sucre, où le pain était rare. Son père était alors opérateur radio
et occupait un poste clé dans l’île. C’est lui qui envoyait les télégrammes par
morse. Il était à son poste près de l’actuel dispensaire de Tadine pendant les
cyclones, ou lorsqu’un bateau était en détresse ou encore pour envoyer les
résultats des élections.
« Notre génération
a voulu s’émanciper à travers l’éducation pour ne pas vivre dans les mêmes
conditions que nos parents. C’est un développement qui a du bon mais il
perturbe aussi. On vivait bien. On était heureux. On apprenait bien à l’école.
On n’était pas obnubilé par la télévision, le téléphone. Cette absence de
modernisme nous a permis de nous consacrer à l’éducation. On voit aujourd’hui
les dégâts de l’argent mais aussi de la politique qu’on ne maîtrise pas encore
et qui est une politique de profit. Pour notre jeunesse à qui on ne propose pas
assez de choses, l’alcool est un autre fléau », regrette Gadre. Lui qui avait
d’abord été tenu à l’écart de la classe de sixième, sous prétexte qu’il était
trop jeune, aura fini par prendre la responsabilité de l’enseignement
provincial à Maré de 1991 à 1995 puis de 2003 à 2009, lorsqu’il prend sa
retraite. Jessie la prendra un an après, avec le regret de quitter 28 ans
d’enseignement et son école maternelle de Tadine. Un dimanche, son époux y a
dessiné une fresque à sa demande, encore visible aujourd’hui. C’était le
contrat. Repeindre l’école oui, mais sans toucher à cette marque du passé. « On a eu la chance de connaître la
génération des vieux moniteurs qui nous donnaient une instruction mi européenne
mi mélanésienne. Les deux étaient complémentaires. C’était d’une grande
richesse perdue aujourd’hui. Cette vision kanak nous a appris la sagesse, la
patience avec les enfants », précise l’ancien enseignant.
« On aime Maré
parce qu’on y prend le temps de vivre. A Nouméa, on court toujours après
quelque chose »,
poursuit Jessie d’une voix douce qui dit toute sa quiétude. Ils vont au champ
quand ils en ont envie, passent à table quand ils ont faim qu’il soit 10 heures
30 ou 14 heures, dorment quand le sommeil les gagne, quitte à se lever très
tôt. Gadre est convaincu que cette sérénité leur vient d’une organisation
coutumière qui les structure. « On
sait notre place dans le clan, dans la chefferie », explique-t-il. De
palabres en consensus, les litiges se règlent. Au sein de la grande chefferie
de Tadine, Gadre est porte-parole depuis que son frère aîné est décédé. En tant
que benjamin de la fratrie, l’aîné lui a fait allégeance. Lors des prémices, la
première récolte d’ignames de l’aîné lui revient. C’est ainsi. Les choses se
font naturellement. Chacun sait ce qu’il a à faire et pourquoi. « Mais aujourd’hui, certains élus
politiques ou d’autres qui ont accumulé beaucoup d’argent, ont oublié d’où ils
venaient et leur rang coutumier. Ils font des choses qui outre-passent leurs
possibilités. Ils croient que leur rôle politique ou leur aisance financière
leur donnent des droits ». Gadre aime à citer ce vieil adage populaire
« dis-moi d’où tu viens, je te dirai
qui tu es ».
Jessie et Gadre devant leur case à Tadine. Elle est dorénavant la "chambre" de mes enfants à leur passage à Maré. « Deko ma hnei enengoco ke hnei
ruac », pas par la parole mais par les actes, est leur devise, celle
des clans de la terre de Tadine.