Pa Charlotte est l'une des premières femmes que j'ai prise en photos sur l'île, attirée par son visage et ses rides si expressives. La première fois, c'était au festival Ci Roiko en 2015, puis régulièrement...
Au cours de la marche contre les violences faites aux femmes en novembre dernier, nous avons évoqué sa confiture de "jam" et avons convenu que je viendrais passer une journée avec elle pour en faire un petit reportage... Les premières cueillettes étaient prévues pour juin.
C'était le 22 juin dernier. C'était une journée hors du temps. Magique par sa simplicité, le calme de Nakété, le sourire et les yeux rieurs de Charlotte. Peut-être la douceur de la confiture...
J'ai écrit mon petit reportage hier matin et lui ai fait lire à la fête du Wailou. Elle a beaucoup aimé. Je vous le livre tel qu'elle l'a lu. Il sera publié dans le prochain numéro du magazine Femmes.
Charlotte est aussi la maman de notre ami Whijue, avec qui je chante. Et la grand-mère de Billy. |
A partir du mois de juin, on trouve sur les étals des marchés
de l’île, des petits pots de confiture couleur groseille. C’est Charlotte
Wadrawane, plus connue sous le nom de Pa Wéané, qui mitonne et vend ce délice
qu’on appelle ici confiture de jam.
Elle porte bien son nom cette confiture des confitures,
inhabituelle, préparée à partir des fruits de l’hibiscus sabdariffa. Alors que
son jus, le bissap, est connu sous les cieux tropicaux, à Maré, Charlotte se
souvient avoir toujours cuisiné et dégusté la confiture de jam préparée avec
les fruits du champ de ses parents. Ils les cultivaient déjà quand elle est
née, il y a 73 ans. Mais la plante a fini par disparaître de l’île.
La fleur de l'hibiscus sabdariffa, avant fructification (ci-dessus) et après (ci-dessous).
C’est au début des années 90, au cours d’un voyage
professionnel à Ouvéa, que Charlotte reconnaît la fleur de son enfance et en
rapporte des graines. Elle retrouvera très vite les gestes et les saveurs
qu’elle avait gardés en mémoire. Elle commercialisera sa confiture de jam dès
1994 et fera ainsi renaître la première des confitures de Maré. « C’est une culture facile qui ne
demande pas d’entretien autre que d’ôter les mauvaises herbes autour »,
avoue humblement Charlotte. Néanmoins, la cueillette est longue et demande de la
patience. Chaque fruit doit être prélevé avec délicatesse pour ne pas abîmer la
branche sur laquelle d’autres fruits poursuivent leur maturation. Elle est
souvent aidée dans cette tâche par sa belle-sœur et son frère Kiam.
A Nakété, le champ |
Jusqu’à cette année, elle ne connaissait pas le nom de ce
fruit qu’elle manie depuis si longtemps. C’est son petit-fils, Billy, qui lui
parle du bissap après une recherche sur internet. Depuis, elle appose des
étiquettes « confiture de bissap » sur les petits pots qu’elle vend
sur les marchés de Maré, ou qu’elle envoie à Nouméa où sa fille poursuit
l’écoulement de sa production. Une fois la période de cueillette passée, c’est
au mois d’août que Charlotte cherche l’endroit où elle plantera les graines qui
feront la saison suivante. Chaque année depuis plus de vingt ans, Charlotte
produit cette confiture qui fait sa réputation, comme une douceur offerte aux
autres.
Charlotte
sur la terrasse de la maison familiale à Padawa. Elle fera trois usages du
fruit charnu de l’hibiscus. Le pétale principal servira à la production de la
confiture, parfois de gelée ou de sirop. Les petits pics formant une sorte de
« collerette » donneront naissance à une teinture pour les vêtements qu'elle confectionne. Les graines du fruit seront séchées pour être
replantées.
Une préparation simple dont Charlotte veut garder le secret.
Tout au long de la cuisson, son sourire gourmand glisse dans la marmite et
donne sûrement son goût délicieux à sa confiture de jam.
Nous laisserons reposer le nectar toute la nuit avant de mettre en pot à 5 heures du matin pour être sur le marché de Tadine dès 7 heures.
Sur le marché de Hnawayac. Les visiteurs peuvent goûter sa confiture sur des petits morceaux de pain marmite. |
Hasard ou coïncidence, sur cette même période, elle deviendra
responsable de la mission aux droits des femmes de l’antenne provinciale de
Maré. Après avoir voué ses premières années de vie de femme à l’éducation de
ses enfants et petits-enfants, Charlotte dédiera un autre pan de sa vie aux
femmes de son île, de 1991 à 2010, quand elle prend sa retraite. « Avant d’être nommée par la Province
des Iles, je m’occupais déjà des femmes du groupe des femmes de l’église
évangélique de Maré, dont j’ai été élue présidente pendant 12 ans ». Son
regard traduit la douceur, la tolérance et l’empathie avec lesquelles elle a
contribué à la création d’associations de femmes en tribus jusqu’à celle de la
fédération des associations de femmes de Nengone en 2009. Engagée dans la lutte
contre les violences faites aux femmes, encore aujourd’hui à 73 ans, elle ne
manque pas une occasion de montrer son attachement à ce combat. La douceur de
sa confiture n’a d’égale que le sourire de Charlotte, comme la métaphore d’une
vie consacrée à améliorer celle des femmes.
Charlotte, hier à Hnawayac. Plongée dans la lecture de contes kanak. |