dimanche 30 juillet 2017

La confiture de bissap de Pa Charlotte, un délice de femme engagée...

Pa Charlotte est l'une des premières femmes que j'ai prise en photos sur l'île, attirée par son visage et ses rides si expressives. La première fois, c'était au festival Ci Roiko en 2015, puis régulièrement... 
Au cours de la marche contre les violences faites aux femmes en novembre dernier, nous avons évoqué sa confiture de "jam" et avons convenu que je viendrais passer une journée avec elle pour en faire un petit reportage... Les premières cueillettes étaient prévues pour juin.
C'était le 22 juin dernier. C'était une journée hors du temps. Magique par sa simplicité, le calme de Nakété, le sourire et les yeux rieurs de Charlotte. Peut-être la douceur de la confiture...

J'ai écrit mon petit reportage hier matin et lui ai fait lire à la fête du Wailou. Elle a beaucoup aimé. Je vous le livre tel qu'elle l'a lu. Il sera publié dans le prochain numéro du magazine Femmes.

Charlotte est aussi la maman de notre ami Whijue, avec qui je chante. Et la grand-mère de Billy.

A partir du mois de juin, on trouve sur les étals des marchés de l’île, des petits pots de confiture couleur groseille. C’est Charlotte Wadrawane, plus connue sous le nom de Pa Wéané, qui mitonne et vend ce délice qu’on appelle ici confiture de jam.
Elle porte bien son nom cette confiture des confitures, inhabituelle, préparée à partir des fruits de l’hibiscus sabdariffa. Alors que son jus, le bissap, est connu sous les cieux tropicaux, à Maré, Charlotte se souvient avoir toujours cuisiné et dégusté la confiture de jam préparée avec les fruits du champ de ses parents. Ils les cultivaient déjà quand elle est née, il y a 73 ans. Mais la plante a fini par disparaître de l’île.


La fleur de l'hibiscus sabdariffa, avant fructification (ci-dessus) et après (ci-dessous).




C’est au début des années 90, au cours d’un voyage professionnel à Ouvéa, que Charlotte reconnaît la fleur de son enfance et en rapporte des graines. Elle retrouvera très vite les gestes et les saveurs qu’elle avait gardés en mémoire. Elle commercialisera sa confiture de jam dès 1994 et fera ainsi renaître la première des confitures de Maré. « C’est une culture facile qui ne demande pas d’entretien autre que d’ôter les mauvaises herbes autour », avoue humblement Charlotte. Néanmoins, la cueillette est longue et demande de la patience. Chaque fruit doit être prélevé avec délicatesse pour ne pas abîmer la branche sur laquelle d’autres fruits poursuivent leur maturation. Elle est souvent aidée dans cette tâche par sa belle-sœur et son frère Kiam.

A Nakété, le champ 

Jusqu’à cette année, elle ne connaissait pas le nom de ce fruit qu’elle manie depuis si longtemps. C’est son petit-fils, Billy, qui lui parle du bissap après une recherche sur internet. Depuis, elle appose des étiquettes « confiture de bissap » sur les petits pots qu’elle vend sur les marchés de Maré, ou qu’elle envoie à Nouméa où sa fille poursuit l’écoulement de sa production. Une fois la période de cueillette passée, c’est au mois d’août que Charlotte cherche l’endroit où elle plantera les graines qui feront la saison suivante. Chaque année depuis plus de vingt ans, Charlotte produit cette confiture qui fait sa réputation, comme une douceur offerte aux autres.


Charlotte sur la terrasse de la maison familiale à Padawa. Elle fera trois usages du fruit charnu de l’hibiscus. Le pétale principal servira à la production de la confiture, parfois de gelée ou de sirop. Les petits pics formant une sorte de « collerette » donneront naissance à une teinture pour les vêtements qu'elle confectionne. Les graines du fruit seront séchées pour être replantées.


Une préparation simple dont Charlotte veut garder le secret. Tout au long de la cuisson, son sourire gourmand glisse dans la marmite et donne sûrement son goût délicieux à sa confiture de jam.

Nous laisserons reposer le nectar toute la nuit avant de mettre en pot à 5 heures du matin pour être sur le marché de Tadine dès 7 heures. 


Sur le marché de Hnawayac. Les visiteurs peuvent goûter sa confiture sur des petits morceaux de pain marmite.

Hasard ou coïncidence, sur cette même période, elle deviendra responsable de la mission aux droits des femmes de l’antenne provinciale de Maré. Après avoir voué ses premières années de vie de femme à l’éducation de ses enfants et petits-enfants, Charlotte dédiera un autre pan de sa vie aux femmes de son île, de 1991 à 2010, quand elle prend sa retraite. « Avant d’être nommée par la Province des Iles, je m’occupais déjà des femmes du groupe des femmes de l’église évangélique de Maré, dont j’ai été élue présidente pendant 12 ans ». Son regard traduit la douceur, la tolérance et l’empathie avec lesquelles elle a contribué à la création d’associations de femmes en tribus jusqu’à celle de la fédération des associations de femmes de Nengone en 2009. Engagée dans la lutte contre les violences faites aux femmes, encore aujourd’hui à 73 ans, elle ne manque pas une occasion de montrer son attachement à ce combat. La douceur de sa confiture n’a d’égale que le sourire de Charlotte, comme la métaphore d’une vie consacrée à améliorer celle des femmes.

Charlotte, hier à Hnawayac. Plongée dans la lecture de contes kanak.

vendredi 7 juillet 2017

Pa Ozin, poétesse à ses heures ...

Ozin est notre amie. Nous avons fait sa connaissance sur le marché des paquebots. Elle y travaille pour Pa Hudruné. Lorsque je ne travaillais pas, je leur donnais la main. Nous avons appris à nous apprécier. Elle m'a donné de précieux conseils pour partager et découvrir Maré et les maréens, à leur rythme.

Un jour, je l'ai vu qui écrivait sur un petit carnet... des poèmes. Très beaux...

Fin juin, elle a fait une lecture de quelques'unes de ses compositions à l'université de Nouvelle-Calédonie, invitée par Véronique, une amie commune. J'en ai profité pour faire son portrait pour une parution dans la presse. C'était ce matin. J'en ai encore des larmes aux yeux et des frissons aux bras.

Je vous livre la version transmise aux Nouvelles et à Construire les Loyauté. Les photos sont de Véronique, sauf celle-ci prise sur le site de la fête de la famille, qui a débuté aujourd'hui.


Elle était il y a quelques jours à l’université de Nouvelle-Calédonie pour y faire la lecture de quelques-uns de ses poèmes. Rencontre avec Pa Ozin, autodidacte de l’écriture et de l’émotion, « une femme de la tribu » comme elle aime à se définir.
« Je ne me souviens pas quand j’ai commencé à écrire. J’ai toujours aimé lire et écrire. Depuis l’école ». Ozin Eatene, que tous ici appellent Pa Ozin, est une grand-mère de 58 ans, originaire de Nécé et mariée à Rôh. Elle n’a jamais véritablement travaillé mais s’est toujours engagée pour sa tribu et son île. Intervenante bénévole dans les écoles, elle a contribué à y mettre en place la langue Nengone. Femme de caractère, elle s’investit depuis 30 ans dans le Mouvement des femmes. Epouse d’un diacre, aujourd’hui à la retraite, elle se définit avant tout comme « une femme de la tribu ».
Celle qui a quitté les bancs de l’école à la fin du collège, et n’a jamais suivi de formation littéraire, lit et écrit comme elle respire. « L’envie d’écrire m’est venue naturellement. J’écris spontanément, ça vient comme ça, c’est inexplicable. Parfois, je papote avec des femmes et ça vient. Je me retire alors et m’isole pour écrire sur mon petit calepin ou sur une feuille de papier que je trouve. Mes discussions, ce que je vois, la vie m’inspire. La poésie n’est pas réfléchie. Avec un cœur humble, l’esprit s’ouvre et la main suit », dit simplement Pa Ozin.
« Lorsqu’il pleuvait, le grand chef Henri Naisseline venait nous chercher avec sa 2CV pour nous amener à l’école. C’était important pour lui. Je crois que c’est pour ça que j’ai aimé l’école. Parce qu’il y avait quelqu’un derrière nous qui nous poussait ». Ses instituteurs, Paris Kaloï et Monsieur Brecard, sont aussi à l’origine de son goût pour les mots et la rigueur de cette instruction à l’ancienne. Elle continue à travailler sa mémoire en recopiant des lignes et des lignes et se souvient combien elle aimait écouter les contes en classe.

Lors de la fête de l'avocat 2017. Ozin écrit son abécédaire autobiographique. Elle aime le travail du silence. Celui qui s'installe entre deux personnes. "L'une qui suppose, quand l'autre, silencieuse, se repose".

Aujourd’hui, c’est elle qui conte ou lit ses propres poèmes et en retire une émotion qu’elle ose à peine avouer tant l’humilité lui paraît être la qualité suprême. « Ils m’ont applaudi, m’ont dit merci. Leurs sourires et leurs remerciements ont été ma récompense », dit-elle en évoquant les étudiants lors sa lecture au sein de l’université dans la soirée du mercredi 28 juin. « Ce qui m’a émerveillé, c’est que je n’ai pas touché que le cœur du kanak. J’ai vu des larmes aux yeux des étudiants. Je sais qu’ils ont besoin de ça, de mots doux, qui apaisent le cœur ». Si elle ressent le bonheur que procurent les mots, elle sait aussi qu’écrire la rend heureuse et lui fait du bien.
Cette lecture devant un parterre de lettrés était une première pour Pa Ozin à qui il arrive de lire ses productions à quelques femmes présentes lorsqu’elle vient d’écrire. C’est lors de la première édition de la journée des femmes No Nengone en 2015 qu’elle a écrit « Elles se sourient ». Aujourd’hui que Maré accueille les journées provinciales de la famille, elle se remémore son poème « La famille » composé en 2002. Elle écrit parfois lorsqu’une figure de Maré est mise à l’honneur, comme Rosina ou Pa Charlotte, femmes engagées pour les femmes. Certains de ses poèmes l’ont faite sortir de l’ombre qu’elle affectionne. Jacques D’André a voulu en faire paraître quelques-uns dans le magazine des Loyauté. Celle qui ambitionne de sortir un jour un recueil lui rend hommage. « Il est comme une poignée de porte. Il a ouvert quelque chose ». Pa Ozin aimerait donner ce qu’elle a reçu. « Je pense que ma façon d’écrire est innée. Un proverbe kanak dit qu’il ne faut pas attendre de ne plus pouvoir sortir de la case pour sortir ses dons. Quand on a un don, il faut le travailler, le sortir de la case ! », invite Pa Ozin en guise de conclusion.

Lors de sa lecture à l'université le 28 juin dernier. "Les étudiants étaient redevenus comme des enfants (...) Il y a des mots qui libèrent".

Elles se sourient est un poème qu'elle a composé en juin 2015, lors de la première édition de la journée de la femme organisée par la Commune. 

A petit pas, elles avancent
Leur logique d’être mère
Protégeant à leurs manières leurs enfants
La finesse d’être femme
Polyvalente et efficace
Donc, pas de souci
Elles se sourient

Il ne suffit que de peu de choses
Pour que les femmes s’extasient
De bonheur, de gratitude
Dans le charivari de leur quotidien
Cousant les déchirures profondes
Tressant la vie avec passion
Elles se sourient

Parfois, dans le silence
Elles livrent une grande bataille
Dans l’incompréhension totale,
Cherchant une faille, qu’importe !
Mère nature les a faites ainsi
Optimisant l’avenir de leurs entrailles
Elles se sourient

L’institution fait les merveilles
Des femmes dans la société
Livrant le secret
De leurs savoir-faire et,
En tournant la clé
De la porte de leurs cœurs
Elles se sourient

Hélas ! Cela ne coûte rien
Le sourire de ces visages
L’humanité toute entière
Dans le chaos et la solitude
Marchande la paix idéale et
Entende l’écho du souffle de leur espérance
Elle se sourient