mardi 9 février 2016

Madame Kakou, faiseuse de balles de cricket...


Guanero KAKOU est la dernière kanake de l’île à fabriquer des balles de cricket. Elle m'accueille chez elle à Tawainedr pour me faire découvrir cette méthode traditionnelle. Nous sommes accompagnés de Fernand, un petit cousin, et de Wapon, son petit-fils de 12 ans. Ils seront nos traducteurs pour l’occasion.

Pendant une petite demi-heure, nous traversons la forêt et des parcelles de terres cultivées où abondent ananas, bananes et papayes. Nous foulons la terre de son enfance où elle récolte toujours la sève du banian. C’est l’unique matière première utilisée dans la fabrication de ses balles.




La "gardienne des lieux" nous autorisera à pénétrer dans ce champ.

Elle faisait déjà des balles de cricket toute petite avec son grand-père. C’est en 1992 qu'elle a commencé à les exporter vers Nouméa. Elle continue pour le plaisir plus que par nécessité.
Nous laissons un premier arbre qui ne donnera pas la gomme recherchée car il pousse sur des cailloux. Pa Guanero en choisit un autre qu’elle entaille avec sa petite hache. Le trésor blanc coule instantanément. A l’aide d’une brindille, elle guide la sève vers son réceptacle. Le geste est précis. 
Elle récolte après novembre, quand le temps est sec. Il ne faut pas qu’il pleuve ou qu’il vente. La sève doit être pure et ne contenir aucune eau de pluie. Le vent ne doit pas venir perturber le chemin qu’elle trace sur l’écorce et que doit emprunter la sève qu’elle appelle « watha ».



Une fois rentrée à la maison, elle verse goutte à goutte le trésor blanc puis l’étale méthodiquement sur un plateau de bois. 




« Il faut une bouteille de sève pour fabriquer deux balles » nous dit l’un de ses fils qui nous a rejoint, accompagnés de ses filles dont la petite dernière porte le prénom de sa grand-mère. 
Il nous parle de sa mère. Guanero KAKOU a 74 ans. Seuls 2 de ses 10 enfants vivent à Maré. « Je sais faire car je la vois faire depuis toujours, mais elle est seule à fabriquer les balles. Ses yeux fatiguent mais son geste est encore sûr. Elle ne rajoute rien. Naturelles à 100%, elles ont une résistance incomparable, de plusieurs années » commente-t-il fièrement. Il déplore que les jeunes ne s’intéressent plus à cette méthode traditionnelle. Pa Guanero espère léguer son savoir-faire à ses petits-enfants, peut-être Wapon qu’elle appelle tendrement Wawa. Il a été confié à la vieille dame il y a un an et demi pour qu’elle ne soit pas seule.



La petite Guanero



































































Pendant que sèchent les bandes de watha, Pa Guanero s’installe sur une natte et prépare le déjeuner tout en dégustant des letchis fraîchement cueillis par Wapon.


Deux heures après la fin de la récolte, la sève est prête et peut être travaillée aux doigts. Pa Guanero pince, roule, ajuste la gomme et fait naître sous nos yeux la petite boule qui deviendra balle de cricket. « Les 3 dernières couches devront être plus épaisses que les autres » explique-t-elle à Fernand à qui elle laisse sa place pour qu’il fasse. Les mots sont rares. Je ressens ici, comme souvent à Maré, que le geste doit se faire, se vivre, qu’il ne s’explique pas forcément.



  
Nous terminons notre rencontre en partageant un délicieux plat de bananes cuites au coco. Une matinée hors du temps, qui s’est arrêté pour laisser place à la quiétude qui entoure la fabrication de ces balles de cricket. Celles qu’elle façonne aujourd’hui seront utilisées pour les jeux qui commencent en janvier.



PS : cet récit a fait l'objet de ma première double page dans Les Nouvelles du 31 décembre. Il faut que je le déniche version papier pour le lui apporter, comme promis. Elle avait été déçue de ne pas voir le résultat du passage des équipes de Thalassa et Faut pas rêver il y a quelques années.

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