dimanche 14 août 2016

Kuia, une femme kanak...


Connue sous le nom d’Adèle BUAMA, elle préfère qu'on l'appelle Kuia, son nom kanak, car c'est celui qui l'ancre à son histoire, ses origines et puis "Kuia, il n'y en a qu'une" !


Nous l'avons rencontrée par hasard au collège. Elle accompagnait son fils Dick, qui travaille avec Raphaël, et en profitait pour proposer quelques robes mission à la vente. En discutant avec elle, Murielle et moi avons été bluffées par son parcours... Nous pensions partager un café avec la maman d'un collègue et avons découvert une intellectuelle très engagée.

Enseignante du 1er degré de 1965 à 1984, elle est conseillère pédagogique quand elle rejoint le vice-rectorat en 1985 pour adapter les programmes nationaux en programmes océaniens. En 1989 elle intègre la Direction de l’enseignement de la Province des Iles Loyauté. Pendant dix ans, elle participera à l’intégration des langues maternelles dans l’enseignement et à la modification de la carte scolaire de la PIL. Elle sera formatrice au sein de l’IFAP, Institut de Formation à l’Administration Publique, de 2000 à 2003 et inscrira des approches culturelles de la société kanak à l’offre de formation. Durant cette période, elle participera, à la demande du Gouvernement de Nouvelle Calédonie, à l’élaboration du plan de formation globale des hauts fonctionnaires de la République de Vanuatu. Cette expérience l’invite à prendre une patente en 2003. Depuis, elle délivre des formations en langues et culture mélanésienne auprès d’administrations et grandes entreprises de la Nouvelle Calédonie et répond aux sollicitations du Gouvernement et du Sénat coutumier à qui elle apporte ses connaissances de la société kanak en siégeant à de nombreuses commissions. Fondatrice de nombreuses associations de femmes et du comité « 150 ans après », elle disposera même de son émission radio sur NC1ère pour donner la parole à ces « petites gens » qui feront le pays de demain.


Elle est pour moi le symbole des femmes kanak, un paradoxe tiraillé entre la modernité du monde occidental, dont elle a suivi l'instruction, et son ancrage dans la culture kanak. A chacune de nos rencontres, je ressens qu'elle est partagée entre ces deux mondes. Mais ce qu'elle est avec certitude, c'est une femme fière de ses origines, une battante qui veut que les jeunes kanak soient aussi fiers qu'elle de leur culture.

Si elle a rempli sa vie d’engagements envers son peuple, sa famille a toujours été sa priorité. C’est cette femme, plus que la personnalité publique, que j'ai eu envie de découvrir au travers d’un entretien à bâtons rompus lors d’un déjeuner en toute simplicité chez Murielle. Il vient de paraître dans le dernier magazine Construire les Loyauté.
 
Kuia naît EATENE en 1947 à la tribu de Rôh au nord de l’île de Maré. En 1965, elle épouse un BUAMA et intègre le clan SEREITANO qu’elle doit « protéger », EATENE signifiant « toute une armée ». De cette union naîtront 7 enfants qui ne seront jamais un frein à sa volonté. Elle multipliera les activités pour subvenir à leurs besoins et leur assurer un avenir. « Je voulais leur offrir le meilleur, répondre à leurs rêves comme celui d’aller voir le Père Noël à Nouméa. J’étais si fière d’y être parvenue. Je voulais qu’ils s’ouvrent au monde, les faire sortir de Maré » se remémore-t-elle.


Un père spirituel qui forge son caractère

Aînée d’une fratrie de 11 enfants, elle suivra son père partout et apprendra beaucoup de ce pasteur qui prêche l’amour et apporte la bonne nouvelle. Issu du clan ACANIA, signifiant étymologiquement « propriétaire du mal », il agira toujours selon cette fonction et assurera la sécurité et la protection de la chefferie en « filtrant le mal et ne laissant passer que le bon ».

Durant ces années passées auprès de lui, son père lui enseignera ce qu’est le vivre ensemble et que son équilibre dépendra de la qualité de la relation qu’elle établira avec les autres. « Au-delà de toutes les valeurs, c’est l’amour de l’autre qu’il souhaitait me léguer. Il prenait le temps de me parler, de me faire comprendre les choses en sollicitant ma propre intelligence. Il voulait que j’aille à l’école pour gagner cette intelligence » nous dit-elle admirative. De ces moments partagés, de son engagement spirituel, elle retiendra aussi qu’il faut avoir foi en quelque chose et se battre, ce qu’elle fera tout au long de sa vie pour obtenir ce qu’elle veut.

Rien ne prédestine Kuia à une vie vouée à l’éducation. Elle est couturière lorsque le chef de secteur des écoles lui demande de faire un remplacement. Nous sommes au milieu des années soixante. Elle sait alors qu’un jour elle prendra sa place. « C’est ma foi. Je suis une combattante comme mon père. Toute mon éducation repose sur les valeurs kanak, en connexion avec une nature dont je connais les signes, et celles de la foi en Dieu. Il parlait toujours de la Bible. Il avait foi en cette puissance. C’est au-delà de la religion. Mon père savait que je ferais de grandes choses. Quand je suis née, il a trouvé un des plus gros poissons, de ceux destinés au grand chef, signe que sa fille ferait quelque chose de grand. Il me disait soit un grand chef demandera ta main, soit tu feras de grandes choses. Trois grands chefs ont demandé ma main » nous raconte Kuia, amusée et mystique à la fois.

En prenant ainsi son aînée sous son aile, son père pousse sa fille à faire par elle-même et à dépasser les choses. « Mon père, par sa fonction culturelle, m’a appris à manger à la sueur de mon front et me faisait planter très tôt le matin. A l’âge de 8 ans, je ramassais le café chez les colons pour payer ma scolarité. Il me disait tu ne dois jamais mendier. Cette force-là me vient de lui » nous apprend Kuia.


Une mère forte qui la guide en tant que femme

Sa mère incarnait la patience et l’humilité. Elle était en adoration devant son mari et était très ancrée dans la coutume. « Mon père a forgé ma personnalité quand ma mère a forgé mon encrage dans le respect du uien, une puissance au-delà de la nature et de l’homme » nous dit Kuia, convaincue d’être issue de ces deux forces. Dans la conception kanak, l’homme est un élément de la nature, ni plus ni moins important que le vent, la caillou ou l’arbre. « Tous les éléments du cosmos ont une valeur égale. C’est la part mystique de l’homme kanak, bien au-delà de la religion » nous explique cette pédagogue passionnée par la culture qu’elle défend.

Indépendante, elle sera tiraillée entre cette éducation et sa vision des choses et cherchera à se différencier de sa mère, qu’elle juge trop dépendante de son père. Si elle avoue avoir parfois transgressé la coutume, elle admire la force mentale et spirituelle de sa mère, très respectueuse des règles. « Je n’ai jamais vu pleurer ma mère. Elle gardait ses états d’âme en elle pour ne pas influencer ses enfants. Elle a perdu ses parents et son unique sœur dans le naufrage de la Monique. C’est ce qui a dû lui donner cette grande force.

Quand la première épouse de mon père est morte, c’est ma mère, sa cousine germaine, qui a été choisie pour s’occuper des enfants. Elle était la plus proche en sang et pouvait donc devenir leur maman. Il faut qu’il y ait beaucoup de l’ancienne dans la nouvelle. J’ai donc deux grands frères d’un premier mariage » nous explique-t-elle. Atteinte d’une malformation cardiaque, sa mère subit de nombreuses opérations. Pour la dernière, les médecins convoquent les grands frères de Kuia qui doivent convaincre leur mère d’être opérée sur place, un voyage en Australie étant trop risqué. Contre l’avis des médecins et les arguments de ses fils, elle part en Australie et en revient pour vivre encore 9 ans. Pour leur prouver qu’elle avait raison de « croire en sa foi et de faire confiance à Dieu », la mère de Kuia fera le trajet à pied chaque jour entre son domicile et l’hôpital de Nouméa où elle est suivie pendant sa convalescence. Son médecin et sa femme se sont depuis convertis et fréquentent chaque jour le Temple.

« En prenant de l’âge, j’ai voulu lui ressembler. Ses valeurs me portent, me hantent. Je l’admire car elle amenait l’équilibre dans son foyer. Elle était une femme kanak, elle était l’eau, la vie, la liane qui tient la case, le cocotier qui couvre et qui nourrit » nous dit-elle.


La liane, symbole de la femme kanak

Cette notion de « liane » l’a beaucoup interrogée et s’est immiscée dans tous ses actes et ses activités d’éducatrice.

Kuia défend sa conception de la femme kanak « celle qui n’oublie pas qu’elle est la vie, qui donne à ses enfants des paroles de vie, qui les aide à grandir, qui entretient les relations entre les membres de la famille et sert la cohésion du groupe ». Une liane, forte et souple, permet l’équilibre par l’entretien des liens entre la charpente et le poteau central de la case.

Kuia conservera cette image en tête et se donnera pour rôle de « construire l’humain » en s’engageant dans l’éducation où elle « nourrit » ses élèves. « Pour être équilibré, le kanak a besoin de trois nourritures. Les aliments - l’eau, le lait , le pain… - les purges aux fonctions biologiques – nettoyer les toxines - et psychologiques – rite de passage d’un état à un autre – et la parole pour grandir humainement. La parole est des trois nourritures celle qui manque le plus aujourd’hui. On ne prend plus le temps d’écouter, de discuter. La télévision et internet ont pris la place de la case où on ne raconte plus de contes. Il faut aujourd’hui chercher de nouveaux espaces de parole » nous explique-t-elle.

Elle veut construire le pays avec ces valeurs et s’investit dans la formation car « construire le pays c’est d’abord construire l’humain. Mon souhait est de participer à la construction de mon pays en le dotant de vrais femmes et hommes, sains de corps et d’esprit ».

Kuia BUAMA ne se définit pas comme une femme politique mais comme une éducatrice. Entière et sincère, elle garde ainsi sa liberté d’expression et fait de la politique à sa façon.




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