lundi 15 août 2016

Pa Hudruné, une vie pour Maré...

Le magazine Femmes qui paraît chaque mois m'a demandé le portrait d'une femme engagée pour sa communauté. C'est à mon amie Hudruné que j'ai spontanément pensé... Il est paru jeudi dernier. Sa fille Emélée, que j'ai croisée à Nouméa, a aimé ma façon de parler de sa mère. Ça m'a beaucoup touché. C'est une femme que j'aime, que nous aimons, beaucoup beaucoup.

Lors de la fête de l'avocat 2016, avec Murielle

Je vous le livre, tel quel, avec quelques photos.

Pa Hudruné est une femme discrète. La douceur de son sourire et de son regard témoignent d’une grande gentillesse et humilité. Aux quatre coins de l’île, tout le monde connaît celle qui pourtant ose à peine se raconter.

Hudruné Malo est née à Ténane il y 63 ans. Elle y vit encore avec son mari, Itang Fouyé, qu’elle a épousé il y a 38 ans. Maman de trois filles, elle est aussi la grand-mère de six petits-enfants. Quand elle a un peu de temps pour elle, Hudruné s’occupe de sa petite famille, comme elle l’appelle. Car tous ceux qui la côtoient se demandent comment elle fait pour faire tout ce qu’elle fait. Elle est partout sur l’île et en dehors dès qu’une manifestation donne à Maré l’opportunité de valoriser son savoir-faire local. Son énergie contraste avec sa réserve.
Enfant sage et respectueuse des règles dictées à la maison par son père diacre, elle reste fidèle à sa droiture et aux valeurs d’amour du prochain qu’il transmet à ses deux frères, sa sœur et elle. En vivant en tribu, elle suit les recommandations de son père à qui le petit chef, absent de Maré, a justement confié le clan. Elle s’investit à sa demande dans l’association des jeunes de l’église protestante, participe aux coutumes, aux fêtes culturelles, à la vie politique et économique de l’île. « Il était très investit et voulait que ses enfants le soient aussi. On l’appelait le vieux dictionnaire car il savait beaucoup de choses sur tout. Il était comme un enseignant » explique-t-elle.

Lors de la fête du Rekoko à Ténane

Après trois années passées à Nouméa au lycée technique qui parfait ses connaissances en cuisine, couture, ou encore agriculture, elle doit rentrer à Maré. « Mon père considérait qu’il n’était pas nécessaire que ma sœur et moi fassions plus d’études car ça ne bénéficie pas à la famille. Contrairement à ses fils qui resteraient à la tribu, même après leur mariage » explique-t-elle, sans regret. Qu’à cela ne tienne, elles imaginent un projet familial et créent toutes les deux une entreprise en espaces verts avec l’accord de leur père néanmoins retissant. « L’argent ne doit pas vous commander, il ne doit être qu’un outil de travail. Si l’argent vous commande, il n’y aura plus de frères, de sœur, de famille » les prévient-il. Hudruné travaillera ainsi, en s’enrichissant autrement et en regardant les gens pour ce qu’ils sont et non ce qu’ils représentent. « Mon père m’a appris à donner pour recevoir. Comme lorsque j’accueille quelqu’un dans mon champ. Je lui donne une igname ou des légumes. En retour je garde la main verte. Si on donne, on a en retour, c’est comme ça que j’ai élevé mes trois filles ». Elle mettra ainsi un point d’honneur à respecter la parole de son père, à accueillir et à s’ouvrir aux autres. C’est ainsi qu’on fait sa connaissance. Son regard vous capte. Ce qu’elle est profondément vous touche et ne vous quitte plus. Sa bonté se lit sur chacun de ses gestes.




En parallèle, Hudruné cultive son champ et vend sa production sur les marchés. Elle aide aussi son père sur celui de Ténane. « Il l’a créé pour que les vieilles de la tribu, en charge des enfants scolarisés, puissent trouver de quoi leur préparer à manger à l’école » se souvient-elle. Le clan Thuma est réputé pour son savoir-faire en matière de gestion. L’entreprise de location de voitures dont Hudruné s’occupe avec son mari en bénéficiera aussi.
Co-gérante de deux entreprises de services aux résidents et visiteurs de l’île, secrétaire du marché de Ténane, vendeuse sur les autres, elle quitte les associations de femmes auxquelles elle adhérait pour mieux assurer ses responsabilités économiques. Elle reste néanmoins très attachée à son église et montre sa foi par ses actes, ses offrandes et le temps qu’elle donne aussi à sa paroisse. A l’aube de ses 60 ans, à l’heure d’un repos bien mérité, un nouvel engagement se présente qu’elle ne peut refuser. Le Grand Chef Naisseline lui confie les clés des marchés communaux. Elle en prend la responsabilité après Wenemite Sipa qu’elle suppléait déjà quand il devait s’absenter.


Lors de la fête du Ura 2016
Cinq années après, elle a respecté la parole du Grand chef et est devenue la référence de l’île en matière de valorisation des produits locaux. Chaque mardi et vendredi matin, elle arrive au marché de Tadine à 4h30 pour ouvrir les modules et permettre aux mamans de préparer leurs étals avant l’ouverture. Quand une fête culturelle a lieu ailleurs sur l’île, comme à Nece pour celle de l’avocat, elle organise le déplacement des marchés et des vendeuses sur le lieu de fête pour y présenter une grande diversité de produits. C’est elle aussi qui assure la promotion de Maré lors de la Foire des Iles, celle de l’Île des Pins ou encore à la fête de la mandarine à Canala. La commune sait pouvoir compter sur le savoir-faire et la générosité d’Hudruné qui ne compte pas les heures qu’elle concède bénévolement. Membre actif de l’association RANEGUPA, elle sera présente à Nouméa lors du prochain jeudi du centre-ville qui met les îles Loyauté à l’honneur. Quand les premiers paquebots débarquent à Maré en 2012, elle s’investit avec d’autres mamans pour offrir aux croisiéristes un marché de souvenirs. Elle est aujourd’hui la trésorière du Syndicat d’Initiative Nengone. « Je ne regrette pas ces engagements. J’ai développé beaucoup de liens, de relations avec les gens de Maré. Ça me donne du courage pour toujours gérer cela au mieux, pour les mamans. Nos marchés sont l’image de Maré » nous dit-elle d’une voix presque chuchotée.

Intimidée par ce portrait, elle y a consenti par gentillesse. Elle est ce que son père a fait d’elle, tout simplement. Son bonheur, elle le doit au respect qu’elle lui porte encore. Pas de grigri, elle n’en a pas besoin. Elle a ses plantes, ses fruits, ses actes au quotidien qui lui rendent la vie meilleure car « si on donne, on a en retour ».

Le 12 juillet, après le marché de Tadine, à l'issue de mon interview
Elle est d'une douceur incroyable. Nous y sommes très attachés, Sacha peut-être encore plus si c'est possible.


4 commentaires:

  1. Merci Sophie pour cet article: c'est beau, tout simplement beau...

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  2. Magnifique hommage rendu à cette femme. Belle plume Soso!!!

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  3. Magnifique....j'ai encore envie de lire!
    plein de bisous.

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  4. Merci Mme MENDES pour cet hommage à ma tante.

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