Le magazine Femmes qui paraît chaque mois m'a demandé le portrait d'une femme engagée pour sa communauté. C'est à mon amie Hudruné que j'ai spontanément pensé... Il est paru jeudi dernier. Sa fille Emélée, que j'ai croisée à Nouméa, a aimé ma façon de parler de sa mère. Ça m'a beaucoup touché. C'est une femme que j'aime, que nous aimons, beaucoup beaucoup.
Lors de la fête de l'avocat 2016, avec Murielle |
Je vous le livre, tel quel, avec quelques photos.
Pa Hudruné est une
femme discrète. La douceur de son sourire et de son regard témoignent d’une
grande gentillesse et humilité. Aux quatre coins de l’île, tout le monde
connaît celle qui pourtant
ose à peine se raconter.
Hudruné Malo est née à Ténane il y 63 ans. Elle y vit encore
avec son mari, Itang Fouyé, qu’elle a épousé il y a 38 ans. Maman de trois
filles, elle est aussi la grand-mère de six petits-enfants. Quand elle a un peu
de temps pour elle, Hudruné s’occupe de sa petite famille, comme elle l’appelle.
Car tous ceux qui la côtoient se demandent comment elle fait pour faire tout ce
qu’elle fait. Elle est partout sur l’île et en dehors dès qu’une manifestation
donne à Maré l’opportunité de valoriser son savoir-faire local. Son énergie
contraste avec sa réserve.
Enfant sage et respectueuse des règles dictées à la maison
par son père diacre, elle reste fidèle à sa droiture et aux valeurs d’amour du
prochain qu’il transmet à ses deux frères, sa sœur et elle. En vivant en tribu,
elle suit les recommandations de son père à qui le petit chef, absent de Maré,
a justement confié le clan. Elle s’investit à sa demande dans l’association des
jeunes de l’église protestante, participe aux coutumes, aux fêtes culturelles,
à la vie politique et économique de l’île. « Il était très investit et
voulait que ses enfants le soient aussi. On l’appelait le vieux dictionnaire car il savait beaucoup de choses sur tout. Il
était comme un enseignant » explique-t-elle.
Lors de la fête du Rekoko à Ténane |
Après trois années passées à Nouméa au lycée technique qui
parfait ses connaissances en cuisine, couture, ou encore agriculture, elle doit
rentrer à Maré. « Mon père considérait qu’il n’était pas nécessaire que ma
sœur et moi fassions plus d’études car ça ne bénéficie pas à la famille.
Contrairement à ses fils qui resteraient à la tribu, même après leur mariage »
explique-t-elle, sans regret. Qu’à cela ne tienne, elles imaginent un projet
familial et créent toutes les deux une entreprise en espaces verts avec
l’accord de leur père néanmoins retissant. « L’argent ne doit pas vous
commander, il ne doit être qu’un outil de travail. Si l’argent vous commande,
il n’y aura plus de frères, de sœur, de famille » les prévient-il. Hudruné
travaillera ainsi, en s’enrichissant autrement et en regardant les gens pour ce
qu’ils sont et non ce qu’ils représentent. « Mon père m’a appris à donner
pour recevoir. Comme lorsque j’accueille quelqu’un dans mon champ. Je lui donne
une igname ou des légumes. En retour je garde la main verte. Si on donne, on a
en retour, c’est comme ça que j’ai élevé mes trois filles ». Elle mettra
ainsi un point d’honneur à respecter la parole de son père, à accueillir et à
s’ouvrir aux autres. C’est ainsi qu’on fait sa connaissance. Son regard vous
capte. Ce qu’elle est profondément vous touche et ne vous quitte plus. Sa bonté
se lit sur chacun de ses gestes.
En parallèle, Hudruné cultive son champ et vend sa production
sur les marchés. Elle aide aussi son père sur celui de Ténane. « Il l’a
créé pour que les vieilles de la tribu, en charge des enfants scolarisés,
puissent trouver de quoi leur préparer à manger à l’école » se
souvient-elle. Le clan Thuma est réputé pour son savoir-faire en matière de
gestion. L’entreprise de location de voitures dont Hudruné s’occupe avec son
mari en bénéficiera aussi.
Co-gérante de deux entreprises de services aux résidents et
visiteurs de l’île, secrétaire du marché de Ténane, vendeuse sur les autres, elle
quitte les associations de femmes auxquelles elle adhérait pour mieux assurer
ses responsabilités économiques. Elle reste néanmoins très attachée à son
église et montre sa foi par ses actes, ses offrandes et le temps qu’elle donne
aussi à sa paroisse. A l’aube de ses 60 ans, à l’heure d’un repos bien mérité,
un nouvel engagement se présente qu’elle ne peut refuser. Le Grand Chef
Naisseline lui confie les clés des marchés communaux. Elle en prend la
responsabilité après Wenemite Sipa qu’elle suppléait déjà quand il devait
s’absenter.
Lors de la fête du Ura 2016 |
Cinq années après, elle a respecté la parole du Grand chef et
est devenue la référence de l’île en matière de valorisation des produits
locaux. Chaque mardi et vendredi matin, elle arrive au marché de Tadine à 4h30
pour ouvrir les modules et permettre aux mamans de préparer leurs étals avant
l’ouverture. Quand une fête culturelle a lieu ailleurs sur l’île, comme à Nece
pour celle de l’avocat, elle organise le déplacement des marchés et des
vendeuses sur le lieu de fête pour y présenter une grande diversité de
produits. C’est elle aussi qui assure la
promotion de Maré lors de la Foire des Iles, celle de l’Île des Pins ou encore à
la fête de la mandarine à Canala. La commune sait pouvoir compter sur le
savoir-faire et la générosité d’Hudruné qui ne compte pas les heures qu’elle
concède bénévolement. Membre actif de l’association RANEGUPA, elle sera
présente à Nouméa lors du prochain jeudi du centre-ville qui met les îles
Loyauté à l’honneur. Quand les premiers paquebots débarquent à Maré en 2012,
elle s’investit avec d’autres mamans pour offrir aux croisiéristes un marché de
souvenirs. Elle est aujourd’hui la trésorière du Syndicat d’Initiative Nengone.
« Je ne regrette pas ces engagements. J’ai développé beaucoup de liens, de
relations avec les gens de Maré. Ça me donne du courage pour toujours gérer cela
au mieux, pour les mamans. Nos marchés sont l’image de Maré » nous
dit-elle d’une voix presque chuchotée.
Intimidée par ce portrait, elle y a consenti par gentillesse.
Elle est ce que son père a fait d’elle, tout simplement. Son bonheur, elle le
doit au respect qu’elle lui porte encore. Pas de grigri, elle n’en a pas
besoin. Elle a ses plantes, ses fruits, ses actes au quotidien qui lui rendent
la vie meilleure car « si on donne, on a en retour ».
Le 12 juillet, après le marché de Tadine, à l'issue de mon interview |
Elle est d'une douceur incroyable. Nous y sommes très attachés, Sacha peut-être encore plus si c'est possible.
Merci Sophie pour cet article: c'est beau, tout simplement beau...
RépondreSupprimerMagnifique hommage rendu à cette femme. Belle plume Soso!!!
RépondreSupprimerMagnifique....j'ai encore envie de lire!
RépondreSupprimerplein de bisous.
Merci Mme MENDES pour cet hommage à ma tante.
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